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Paroles et performances d’artistes contemporains

   | Nov 18, 2021
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SYMPOSIUM CULTURE@KULTUR
Expression artistique et cicatrices de la Première Guerre mondiale : continuités et discontinuités (1919-2019). Künstlerischer Ausdruck und die Narben des Ersten Weltkriegs: Kontinuitäten und Zäsuren (1919-2019)

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Souhaitant résolument mêler les voix d’universitairesà celles d’artistes inspirés par la Première Guerre mondiale, ce dossier inclut les témoignages de contemporains inspirés, voire habités par ce conflit. Dans leurs univers artistiques respectifs (celui de la bande-dessinée chez Marko, de la littérature pour enfants chez Géraldine Elschner et de la musique chez Céline Papion), on peut bel et bien parler d’une recherche minutieuse de traces de la Grande Guerre au service d’un art qui conjugue mémoire, hommage, reconstitution esthétique, pacifisme et créativité ludique. Dans les présentations de leurs processus créatifs, l’émotion s’est souvent invitée, le public a senti l’histoire familiale affleurer, ainsi qu’une volonté de resserrer les liens entre la France et l’Allemagne. Création rime ici avec cicatrisation et deux de ces trois artistes (Marko et Céline Papion) nous ont même livré une performance artistique en direct.

Laissons tout d’abord ces trois artistes se présenter avec leurs propres mots avant de renvoyer à la séquence filmée de leurs interventions respectives.

MARKO, LE DESSINATEUR INLASSABLE DES BANDES-DESSINÉES LES GODILLOTS ET VERDUN
Bio-bibliographie

Marc Armspach, de son nom de pinceau « Marko », est illustrateur et auteur BD. D’un père alsacien et d’une mère bordelaise, il est né dans la capitale girondine, mais a grandi sur les hauteurs de Bayonne, au milieu des HLM. Il n’hésita pas à les investir à grands coups de marqueur, dès qu’il en eut l’opportunité. Cela dit, le lien avec sa famille d’Alsace n’a jamais été coupé et, sans en connaître l’importance, il a joué avec ses cousines, chaque été, sur des sites alsaciens dont il découvrira plus tard qu’ils constituent des hauts lieux de mémoire : le Hartmannwillerkopf ou encore le grand canon de Zillisheim, village de naissance de son père.

Son parcours scolaire est dédié non pas aux calculs mathématiques, mais au dessin. Véritable Guy Degrenne des petits personnages de bande-dessinée, il use les marges de ses cahiers en griffonnant des univers peuplés de héros aventureux. À l’âge de quatorze ans, tout s’accélère le jour où il reçoit, suite à un bref échange de courriers avec les éditions Dupuis, un dessin magique du grand Franquin, le génie créateur de « Gaston Lagaffe ». Si le dessin avait déjà été une passion jusque-là, il devient dès lors un véritable projet de vie. Redoublements après redoublements, il finit par être orienté vers une école des Beaux-Arts. Il la quittera en cours d’année pour aller vivre l’aventure à Paris… Il a vingt ans, il vient de claquer la porte de la prestigieuse école des Gobelins pour intégrer les studios Ellipse et travailler sur la série animée Babar.

Trente-deux ans plus tard, le dessin est toute sa vie, son quotidien et son gagne-pain. Les boucles de l’histoire se reforment : La Grande Guerre est devenu son sujet de prédilection avec la série Les godillots ou encore la trilogie Verdun qu’il cosigne avec l’historien Jean-Yves Lenaour et le dessinateur Inaki Holgado. Il espère encore avoir l’énergie de ses quatorze ans et le temps à venir que lui offrent encore ses cinquante-deux ans pour continuer longtemps à dessiner cette guerre qui l’habite…

Les Godillots, Scénario de Marko et Olier, Éditions Bamboo, 5 tomes et 2 petits romans.

Verdun, Scénario de JY Lenaour, Storyboard et DA de marko et dessin d’Inaki Holgado, Éditions Grand Angle, 3 tomes.

Le jour où…, Édition Bamboo, 6 tomes.

La Brigade des souvenirs, La lettre de Toinette, Éditions Dupuis, 2 tomes.

Liens réseaux sociaux de Marko :

https://www.facebook.com/marc.armspach

https://www.facebook.com/lesgodillots

https://www.facebook.com/MarkoAuteur

ENTRETIEN AVEC MARKO: « REGARDER C’EST DESSINER »

De manière passionnante, spontanée et vivante (planches de BD et iconographie à l’appui), le dessinateur Marko nous révèle le véritable travail de bénédictin qui sous-tend chacun des albums des Godillots qu’il cosigne avec le scénariste Olier. Marko se nourrit non seulement des travaux universitaires, mais aussi de carnets de guerre, de témoignages des descendants de poilus, de films, de photographies, d’objets insolites… Il se rend sur les différents sites des combats (Verdun, les Vosges, la Champagne…) et il établit, en amont de son travail créatif, une topographie des lieux mi-imaginaires mi-réels qui seront le théâtre de chacune des histoires. Chaque album fourmille ainsi de détails soigneusement reconstitués ou réinventés, mais sans que ces traces de la Grande Guerre ne soient jamais pesantes. Le ton doit rester léger, humoristique, sans exclure le sérieux. Les anecdotes qui jalonnent les histoires sont souvent inspirées de faits réels, mais l’inverse est parfois vrai aussi : il arrive que Marko invente des situations ou des personnages dont il apprend, après coup, qu’ils ont bel et bien eu leur équivalent dans l’histoire réelle…

Pour retrouver l’entretien intégral, cf. l'enregistrement ci-joint.

Après son exposé et comme fasciné par les témoignages de Géraldine Elschner, Marko n’a pu s’empêcher de se lever pour dessiner au tableau, sous les yeux amusés et fascinés du public, un poilu et un godillot orné d’un petit chêne, allusion à l’intervention de Géraldine Elschner.

GÉRALDINE ELSCHNER: « LE CASQUE D’OPAPI » ET « LE BALLON DE LA PAIX » SYMBOLES D’UNE SOIF DE RÉCONCILIATION FRANCO-ALLEMANDE
Bio-bibliographie

Géraldine Elschner, traductrice et autrice jeunesse, est née à Comines, petite ville frontière du Nord réduite en cendres pendant la Première Guerre. Les paysages de cimetières aux interminables rangées de stèles blanches ont marqué son enfance. Ses deux grands-pères se sont battus dans ce secteur des Flandres, mais « l’un contre l’autre » : le père de sa mère française face au père de son père allemand. Ont-ils fraternisé un soir de Noël, comme d’autres soldats du front ? Elle l’a espéré longtemps…

Cette double identité marquera son parcours personnel et professionnel : études d’allemand et de lettres modernes, tantôt dans un pays, tantôt dans l’autre ; suivies d’une formation de bibliothécaire section jeunesse ; puis la traduction de livres pour enfants comme trait d’union entre les deux langues… Et enfin l’écriture de ses propres textes (soixante-sept titres entre-temps) publiés dans les deux pays et eux-mêmes traduits dans de nombreuses langues. Elle est mère de trois enfants nés en Allemagne où elle vit aujourd’hui – entre deux retours en France.

Le centenaire de la Première Guerre a été pour elle l’occasion d’aborder enfin le thème de cette histoire familiale déchirée. Quatre titres ont ainsi été publiés en 2014, deux traitant de l’identité et de la réconciliation, et deux des fraternisations de Noël 1914 :

Le casque d’Opapi, d’après un tableau de Fernand Léger, illustré par Fred Sochard, Éditions de l’Elan Vert / Canopé pour l’album (2014), Éditions Callicéphale pour le Kamishibaï en version bilingue (2018).

Der alte Schuh, in Mitten im Leben sind wir vom Tod umfangen. Erzählungen über den Ersten Weltkrieg, herausgegeben von Alexandra Rak, Fischer KJB (2014).

Frères d’un soir. Noël 1914, Édition Milan (2014), ouvrage réédité en 2017 et augmenté d’une partie documentaire.

Le Ballon de la Paix / Ein Ball für den Frieden, Éditions Le Buveur d’encre (2014) / Tintentrinker Verlag (2014).

Site internet de Géraldine Elschner : www.geraldine-elschner.com

ENTRETIEN AVEC GÉRALDINE ELSCHNER : « LA PETITE PAIX DES HOMMES AVANT LA GRANDE PAIX DES PRÉSIDENTS »

De manière tout aussi personnelle et touchante que Marko, Géraldine Elschner évoque la lente genèse de ses projets artistiques sur la Première Guerre. Elle aussi est fascinée par les objets que nous a légués la Grande Guerre : comme Marko, elle a été inspirée par un godillot de soldat retrouvé dans un champ ; ou encore par les têtes d’obus qui continuent d’affleurer chaque année durant les récoltes de pommes de terre dans ses Flandres natales… Ces objets-cicatrices deviennent dès lors les personnages principaux de ses albums ou livres-jeunesse (Le casque d’Opapi illustré par Fred Sochard, Der alte Schuh…), véritables traits d’union entre les peuples et témoins à charge contre la guerre. Géraldine Elschner aime à penser que ses deux grands-pères français et allemands auraient pu fraterniser un soir de Noël, comme d’autres combattants ennemis l’ont fait durant le Noël 1914, lors de la légendaire partie de football qu’elle évoque dans son album Le ballon de la Paix (illustré par Fabien Doulut). Un match annonciateur – bien avant l’heure ! – de réconciliation et qui eut précisément lieu aux abords de Commines, sa cité natale. Une ville où elle a besoin de retourner pour planter de petits chênes rhénans ou écrire sur la guerre, au service de la mémoire et de la paix

Pour retrouver l’entretien intégral, cf. l'enregistrement ci-joint.

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CÉLINE PAPION: « UN VIOLONCELLE DES TRANCHÉES » ET UN ÉCHO SONORE MODERNE DE LA GRANDE GUERRE
Bio-bibliographie

Céline Papion est une artiste singulière, curieuse et éclectique. Au gré des rencontres et de ses engagements artistiques, elle est à la fois violoncelliste, interprète de musique contemporaine et ancienne, mais aussi performeuse ou directrice artistique. Son travail et son engagement dans le domaine de la musique contemporaine ont été récompensés par le Prix International Bodensee-Konferenz pour l’interprétation de la musique contemporaine en 2019.

Céline Papion s’est formée en France et en Allemagne auprès de violoncellistes et pédagogues de renoms. Durant ses études, elle a bénéficié du soutien de la Fondation Yehudi-Menuhin, Live Music Now. Aujourd’hui passionnée d’aventures artistiques et de chemins de traverses, elle initie, conçoit, joue et dirige ses propres projets. Elle travaille en étroite collaboration avec des artistes contemporains (compositeurs, acteurs, plasticiens, artistes vidéo et lumière, metteurs en scène…). Elle est membre-fondatrice de l’ensemble Cross.art, du Duo Marie M. et du collectif S-K-A-M (Stuttgarter Kollektiv für aktuelle Musik).

Céline considère la musique comme un médium multidimensionnel et transgénérationnel, qui peut être mis en scène et devenir une oeuvre d’art totale. Le visuel, l’espace, le contenu, l’aspect performatif, théâtral et musical occupent une place centrale dans ses créations. Céline joue régulièrement dans les théâtres tels que le Junges Ensemble Stuttgart, Theater Rampe et la Württembergische Landesbühne de Esslingen.

Son projet OTTO – Théâtre musical pour violoncelle et live-electronics, lié à la Première Guerre, est représenté en 2018–19 et mis en scène par Anna Drescher. Joué entre autre sur la copie d’un ersatz de violoncelle, bricolé jadis dans les tranchées de la Grande Guerre, ce spectacle cristallise son idéal artistique, jette des ponts entre le passé et le présent, et rencontre un grand succès.

Site internet de Céline Papion : https://celinepapion.net/

ENTRETIEN AVEC CÉLINE PAPION ET ANNA DRESCHER EN ALLEMAND, SUIVI D’UN MINI-CONCERT SUR UN INSTRUMENT INSOLITE : « LA MUSIQUE QUI TRANSFORME »

La metteuse en scène Anna Drescher et Céline Papion exposent d’abord la genèse du spectacle OTTO, issu lui aussi de nombreuses recherches. Otto est le nom donné à l’ersatz de violoncelle qui a un rôle central dans cette performance artistique. Cet « instrument-personnage » a été assemblé avec des matériaux de récupération, tout comme le violoncelle de guerre bricolé jadis dans une caisse à munitions pour le violoncelliste Maurice Maréchal, sur lequel celui-ci joua durant la Grande Guerre et qui est exposé aujourd’hui à Paris, à la Cité de la musique. Mais le propos de ce spectacle n’est pas de simplement reproduire les traces musicales de la guerre. La musique et la dramaturgie se veulent au contraire très contemporaines: les échos sonores et les chants de l’époque sont transformés sur fond de musique électronique; et celle-ci, invisible comme la machinerie guerrière, dialogue avec le violoncelle Otto. Les artistes soulignent que le violoncelle est comme une âme blessée, une voix individuelle qui cherche à ne pas être engloutie dans le fracas anonyme de la guerre. La tension dramatique est palpable, comme celle que put ressentir chaque soldat avant de monter au combat. La démarche est d’autant plus originale et émouvante qu’elle émane de deux femmes artistes, l’une française, l’autre allemande, qui nous livrent, pour clore leur exposé, une performance musicale extraite du spectacle: se rapprochant du public, Céline Papion joue sur le fameux violoncelle Otto, tandis qu’à l’arrière, Anna Drescher fait défiler une bande-son à laquelle ont oeuvré plusieurs compositeurs et bruitistes contemporains

Pour retrouver l’entretien intégral et le mini-concert, cf. enregistrement ci-joint. Les enregistrements des quatre artistes sont dus à la Misha.

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eISSN:
2545-3858
Languages:
German, English, French